FORCES

Les parlementaires des Amériques à Québec
Au rendez-vous de la démocratie

Marcel Couture
Président et éditeur

Le projet de zone de libre-échange des Amériques, lancé en 1994 au Sommet de Miami et dont on a fixé l'aboutissement en 2005, aurait été amputé d'une dynamique essentielle s'il n'avait intégré les parlementaires à sa démarche. La conférence qui les réunira à Québec du 18 au 22 septembre 1997 veut répondre à cette nécessité. La démocratisation accélérée du continent, en particulier en Amérique latine, rend la présence des parlementaires encore plus indispensable à la réalisation d'un ambitieux projet qui, par-delà l'économie, affectera les populations, leurs cultures et leurs coutumes.

L'air du temps, en cette fin de siècle, est à des accords qui permettent à des pays voisins de consolider leurs économies nationales en les regroupant. L'Asie et l'Europe se sont déjà passablement avancées dans cette voie. Les Amériques et les Antilles, avec l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), le Marché commun du Sud de l'Amérique (MERCOSUR), la Communauté andine, le Marché commun centraméricain (MCCA) ou la Communauté des Caraïbes (CARICOM), ne sont pas en reste. Mais la formation d'une Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) relève du titanesque autant par son ampleur que par le court délai qui a été fixé pour sa réalisation.

On rejoint ici plus de 200 États unitaires, fédéraux et fédérés, 775 millions de personnes. On rejoint 35 pays de tailles, de langues, de coutumes et d'histoires fort différentes mais tout aussi riches les unes que les autres. On rejoint des géants – on pense aux États-Unis, au Brésil ou au Mexique – mais aussi des pays en situation de rattrapage économique – c'est le cas de plusieurs – et des pays dont le cheminement démocratique est plus lent ou de fraîche date et qui méritent de ce fait d'être accompagnés et soutenus. (L'un de nos collaborateurs, le professeur Gordon Mace de l'Université Laval de Québec, brosse d'ailleurs un tableau impressionnant de cette diversité.)

Les experts sauront établir les tenants et les aboutissants de cette entente qui, avant d'être signée, donnera lieu à maints calculs, tractations et compromis. Pour l'heure, FORCES a cru poursuivre sa mission d'information et expliquer une démarche complexe en conviant des collaborateurs de qualité à une réflexion sur divers aspects de cette entente : économiques bien sûr, mais aussi politiques, sociaux et culturels. Nous avons ainsi voulu présenter un portrait réaliste des Amériques en n'excluant pas des questions aussi sensibles que les droits de la personne, l'environnement et la protection des identités nationales.

Le principal danger de l'accélération du changement auquel nous assistons à l'échelle mondiale est de créer de nouvelles zones, non plus de libre-échange mais de laissés-pour-compte. Des millions de citoyens se retrouvent momentanément en marge d'une dynamique dont ils auraient pu tirer profit si, adéquatement informés sinon consultés, ils avaient pu s'y préparer. En Amérique du Nord, la mutation économique que l'on vit depuis une décennie a fait beaucoup d'heureux mais aussi provoqué la formation de nouvelles zones d'exclus et l'aplatissement de la classe moyenne. Malgré l'intermède de la crise économique des années 30, cette classe n'avait fait que s'étendre depuis le début du siècle. Elle se trouve aujourd'hui, tout comme la majorité de la population, en proie à des interrogations et à des inquiétudes. De quoi l'avenir sera-t-il fait ? C'est une question qui vaut pour nous tous, quel que soit le pays dans lequel nous vivons.

Bien plus, le nouvel accord des Amériques pourrait devenir porteur de crises s'il n'était consenti que par les spécialistes et les dirigeants des États, c'est-à-dire s'il n'avait pas subi le test de la démocratie, de la volonté populaire. Cette éventualité est évoquée par un de nos collaborateurs spécialisé dans l'intégration économique des pays d'Amérique latine, Juan Mario Vacchino : « La stabilité institutionnelle et la croissance économique actuelles, écrit-il, s'accompagnent d'un accroissement de la pauvreté et du chômage, manifestations d'un déficit social qui doit être corrigé dès maintenant, sous peine de plonger à nouveau les pays de la région dans le chaos politique et social. »

De l'aveu même de ceux qui en sont les architectes, l'établissement d'une zone de libre-échange élargie aux deux Amériques entraînera des changements économiques profonds qui rejoindront des millions de gens dans leur vie quotidienne. Autant donc en informer et y associer les populations si l'on veut assurer le succès de la démarche. Négocier un accord de l'ampleur de celui que l'on ambitionne pour 2005 sans y faire participer les populations par le biais de leurs parlementaires ne ferait qu'accroître l'écart entre ceux qui profitent des changements et ceux qui les subissent et entraîner des tensions inutiles, voire dangereuses.

Le président de la Conférence et président de l'Assemblée nationale du Québec, Jean-Pierre Charbonneau, affirme, dans l'entrevue exclusive qui ouvre ce numéro de FORCES : « Le processus d'intégration économique va engendrer des changements importants, des bouleversements. Les populations ont besoin de sentir qu'elles ont une prise sur ces changements, que leurs élus pourront interpeller ceux qui auront à dessiner, à mettre en place ces nouveaux mécanismes. Il y a donc une nécessité de consolider la confiance. »

On attend des hommes et des femmes politiques qu'ils fixent les orientations, prévoient les écueils et précisent les moyens généraux de toute grande action. C'est ce que le président de la Conférence parlementaire des Amériques réussit avec clarté et profondeur de vues. Loin de réduire le rôle des parlementaires à celui de tampons entre des décideurs anonymes et un public captif, il les place au cœur même du processus menant à l'accord économique des Amériques qui, s'il se concrétise, ouvrira le prochain siècle de près d'un milliard de personnes.