FORCES

La Conférence parlementaire des Amériques
Raffermir les solidarités pour construire ensemble l'avenir

Une entrevue avec
Jean-Pierre Charbonneau,
Président de l'Assemblée nationale du Québec et président de la Conférence parlementaire des Amériques

Claude Gravel
Rédacteur en chef FORCES

Jean-Pierre Charbonneau est président de l'Assemblée nationale du Québec depuis mars 1996. Il est aussi vice-président de l'Assemblée internationale des parlementaires de langue française et coprésident sortant de l'Eastern Regional Conference du Council of State Governments. Il préside, en septembre à Québec, la première Conférence parlementaire des Amériques dont il est également l'instigateur.

D'abord journaliste aux quotidiens montréalais Le Devoir et La Presse, il est député du Parti québécois de 1976 à 1989 et de 1994 jusqu'à aujourd'hui. Il a participé, à plusieurs titres, à des programmes, à des missions et à des organismes de développement et de coopération internationale.

Il a reçu FORCES dans ses bureaux de l'Assemblée nationale.

Quels sont les origines et l'historique de la Conférence parlementaire des Amériques ?

L'idée nous est venue à l'Assemblée nationale après que les chefs d'État et de gouvernement des pays des Amériques se furent mis d'accord, en décembre 1994, pour créer, à l'horizon de 2005, une zone de libre-échange continentale. Nous nous sommes rendu compte à cette occasion que les dirigeants des Amériques et des Antilles voulaient également favoriser un rapprochement de leurs corps législatifs – assemblées parlementaires, sénats. Saisissant la balle au bond, nous avons proposé à nos collègues parlementaires du continent de se réunir à Québec afin d'accentuer cette mouvance. Nous vivons l'accord de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique sans que les parlementaires ne puissent pleinement y jouer leur rôle, alors qu'en Amérique latine, les parlementaires sont souvent associés aux processus d'intégration économique régionale. Nous avons pensé qu'il serait utile qu'ils puissent échanger et raffermir leurs vues. Le processus de mondialisation ne se fait pas d'emblée à l'échelle planétaire, il commence par la construction de blocs régionaux, et l'on constate que, dans la plupart des régions du monde, les parlementaires y sont associés.

Le projet de Zone de libre-échange des Amériques est parfois perçu comme une initiative américaine. Faut-il voir l'influence des États-Unis dans la décision que vous avez prise de tenir cette Conférence ?

Non. On retrouve ce genre d'approche un peu partout sur la planète. Ce que les Américains ont fait en 1994, à cause de leur importance géopolitique, les a amenés à vouloir donner une impulsion additionnelle à ce mouvement. Voir les Amériques réunies est un vieux rêve qui date du début du siècle dernier, celui de Simón Bolívar. Il ne s'agit pas de créer un seul pays, mais de faire en sorte que les peuples des Amériques aient des liens particuliers et développent une approche, une solidarité, une identité qui soient authentiquement américaines – américaines dans le sens de l'ensemble des Amériques. Ce ne sont pas uniquement les États-Unis qui ont souhaité que les corps législatifs intensifient leur dialogue, c'est l'ensemble des pays, aussi bien le Canada, les pays d'Amérique latine que les Antilles.

Québec a fêté en 1992 deux siècles de parlementarisme. Comme Québécois, qu'avons-nous de particulier à offrir à cette Conférence ?

Le Québec a une longue expérience de la démocratie parlementaire, c'est une des plus vieilles démocraties du monde. Nous sommes passés par un certain nombre d'étapes qui nous ont conduits à adopter des standards très élevés. Un peu partout dans le monde, quand les gens souhaitent améliorer leurs institutions démocratiques, ils se tournent vers le Québec. Nous avons cela à offrir : une expérience de la vie et des institutions démocratiques, un processus de développement économique balisé et réussi dans un contexte démocratique. Par ailleurs, nous avons l'expérience de l'organisation d'événements majeurs, d'accueil aussi. De grandes réunions de chefs d'État se sont tenues à Québec. Pour plusieurs, se trouver à Québec plutôt qu'à Washington, New York ou ailleurs, c'est se retrouver dans une zone franche où tout le monde peut échanger sans avoir l'impression d'être obligé de reconnaître un avantage à un vis-à-vis. Nous avons en outre à offrir notre condition de Latins du Nord. Pour les Latino-américains, il est sans doute intéressant de venir discuter au Québec, où il règne une ambiance un peu plus latine qu'ailleurs en Amérique du Nord.

La Chambre des Communes et le Sénat sont associés à l'Assemblée nationale dans l'organisation de la Conférence. Quelle a été leur contribution ?

Bien que la Conférence soit organisée avec l'appui d'une douzaine de partenaires institutionnels, la Chambre des Communes et le Sénat du Canada sont les deux institutions associées et nous voulons qu'elles jouent un rôle de premier plan. Le premier ministre, le chef de l'Opposition et moi avons convenu, à l'Assemblée nationale, de l'importance de tenir cet événement à Québec. Pour des raisons d'État et pour une lecture conjointe des intérêts bien compris, l'institution première avec laquelle nous voulions nous associer était le Parlement canadien - la Chambre des Communes et le Sénat. Cependant, l'Assemblée nationale en est le maître d'œuvre. À partir du moment où ce principe a été accepté, nous avons utilisé, par exemple, le réseau des ambassades du Canada ; les présidents de la Chambre des Communes et du Sénat ont appuyé nos invitations. Le gouvernement canadien apporte une contribution importante à la Conférence.

Quels sont les autres partenaires institutionnels de la Conférence et quelles sont leurs contributions ?

Il y en a plusieurs. Le Parlement canadien est l'institution associée. Nous avons également des partenaires institutionnels, tels que la Banque interaméricaine de développement, l'Organisation des États américains, la Commission économique des Nations Unies pour l'Amérique latine et les Caraïbes et l'Organisation panaméricaine de la santé. En outre, il y a les parlements régionaux, donc des forums parlementaires qui existent déjà en Amérique latine et dans les Caraïbes. Ces organisations nous apportent leur expertise, leur crédibilité et leur appui. Quand les pays reçoivent notre invitation, ils savent que l'invitation n'est pas celle du Québec seulement, mais qu'elle est endossée par d'importantes organisations.

Les participants à cette Conférence viendront de 35 pays et de plus de 200 États unitaires, fédéraux et fédérés. Malgré cette diversité, qu'est-ce qui pourra les unir ?

Premier point commun : les parlementaires représentent des populations dans chacun de leur territoire. Ils ont la responsabilité d'agir dans l'intérêt de leurs populations. On leur offre la possibilité d'échanger avec d'autres personnes qui ont à assumer les mêmes fonctions. Tout le monde n'a pas nécessairement la même lecture des situations, mais il est important que les parlementaires partagent des informations pour en arriver à faire une lecture de plus en plus fine et de plus en plus exacte de réalités complexes. L'enjeu majeur de la Conférence sera d'amener les parlementaires des Amériques à ajuster leur lecture des conséquences prévisibles à court, à moyen et même à long terme pour les populations qu'ils représentent, du processus actuel d'intégration économique. Ces conséquences ne seront pas uniquement économiques : elles seront sociales, politiques, culturelles, environnementales, etc. Les parlementaires devront traduire les préoccupations, les besoins, les attentes des populations. Ils devront recevoir les doléances, comprendre les craintes et les anxiétés des gens. Comment les populations doivent-elles être branchées sur les processus de changements ? À quel rythme les populations sont-elles capables de les absorber ? Il y a vraiment un rôle d'interface dévolu aux parlementaires pour s'assurer que ces changements ne découleront pas uniquement d'une lecture technocratique des choses.

La qualité des rapports personnels est importante dans ce genre de conférence. Est-ce la première fois que tous ces parlementaires auront à travailler ensemble ?

Oui, c'est la première fois que les parlementaires des Amériques auront l'occasion d'engager un dialogue aussi vaste. Il existe des associations et des assemblées interparlementaires : le Parlement andin, le Parlement latino- américain, le Parlement centraméricain sont des forums parlementaires internationaux... Mais il n'y a rien actuellement qui permet de susciter et d'institutionnaliser le dialogue et les concertations entre les parlementaires de l'ensemble des Amériques. C'est dans ce sens que la Conférence est historique, dans la mesure où c'est une première, et dans la mesure aussi où l'on a respecté le principe de la démocratie, de la diplomatie parlementaire, où tout le monde est au même rang, sur le même pied.

Nous avons parlé jusqu'à maintenant des origines, des participants... Nous pourrions maintenant parler des thèmes de la Conférence : démocratie, développement et prospérité. Tous les parlementaires souscrivent-ils à ces objectifs de démocratie et de respect des droits de la personne ?

Je dirais que tous les parlementaires des pays, des sociétés démocratiques souscrivent officiellement au respect des droits de la personne, sauf que tous les pays des Amériques n'ont pas implanté la démocratie au même moment et que les vitesses d'implantation ont été variables. Aujourd'hui, on se retrouve dans un contexte où la quasi-totalité des pays sont, au moins formellement, des démocraties parlementaires respectant le pluripartisme, la liberté d'opinion, d'association, etc. Il importe maintenant de consolider cela. C'est le constat que les dirigeants des pays ont fait eux-mêmes à Miami, en indiquant qu'un des objectifs majeurs du prochain siècle sera la démocratie, la consolidation et le renforcement de la démocratie dans les Amériques. Même les démocraties plus vieilles, comme la nôtre, font face à un problème important, celui du discrédit de la classe politique. Il existe un niveau de méfiance assez grand, dangereux même ; alors il faut créer un lien plus étroit entre les populations et les institutions démocratiques. Le processus d'intégration économique va engendrer des changements importants, des bouleversements. Les populations ont besoin de sentir qu'elles ont une prise sur ces changements, que leurs élus pourront interpeller ceux qui auront à dessiner, à mettre en place ces nouveaux mécanismes. Il y a donc une nécessité de consolider la confiance. Cette Conférence peut être une occasion de démontrer aux populations que les élus assument leur rôle de représentants. Cela sera aussi l'occasion de faire en sorte que les nouvelles démocraties soient accompagnées par les plus anciennes.

Comment de tels objectifs peuvent-ils s'harmoniser avec la souveraineté des États ?

Les droits de la personne à mon avis, dans la mesure où on y adhère démocratiquement, en toute liberté, n'entravent pas la souveraineté des États. Je crois qu'il y a ce qu'on pourrait appeler un « droit d'ingérence » qui est de plus en plus reconnu. Si, collectivement, on adhère à des valeurs démocratiques, on accepte que les uns et les autres s'interpellent. Le fait d'être interpellé n'enlève rien à la souveraineté. On est peut-être en train de bâtir un monde où l'on va baliser les souverainetés des États par des principes démocratiques plus élevés encore. La justice et la paix seront peut-être des valeurs qui feront en sorte que nous nous interpellerons les uns les autres, en nous respectant mutuellement, en respectant les prérogatives et les responsabilités de chacun des États. On ne peut faire tout ce qu'on veut sans que personne dise quoi que ce soit. Il n'y aura pas d'avenir stable si on ne permet pas aux plus faibles et aux plus pauvres d'atteindre le niveau de développement des plus riches. Les exigences et les attentes créées par la mondialisation des communications et les informations qui circulent font que les gens n'attendront plus des siècles avant de pouvoir atteindre des niveaux de développement plus avancés. Pour notre part, nous devrons développer nos capacités d'aller chercher des marchés ailleurs si nous voulons maintenir notre niveau de vie. Mais ces marchés seront accessibles à condition que les autres aient atteint un niveau de développement qui leur permette de commercer avec nous, d'acheter nos biens et services, et de pouvoir vendre les leurs. Si on n'a pas cela en tête, il y a quelque chose qu'on ne comprend pas. Tout le monde a intérêt à rechercher l'équilibre et à vouloir généraliser le niveau de développement que nous avons atteint.

Le développement de la prospérité fait d'ailleurs partie des thèmes de la Conférence des parlementaires. Vous parlez de la prise sur la réalité que peuvent avoir les parlementaires. Comment veulent-ils et surtout comment peuvent-ils influencer le cours des choses ?

De notre point de vue, l'accord de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique nous a permis de constater que les parlementaires n'y ont pas participé autant qu'ils auraient dû. Par ailleurs, quand on regarde l'expérience en Amérique latine, on se rend compte que partout où il y a eu des processus d'intégration économique, des institutions parlementaires ont été mises en place. Reste à voir ce que cela donne concrètement. La Conférence sera une occasion de pouvoir justement mieux connaître ces expériences. Une seule façon d'avoir une prise sur ces changements s'offre aux parlementaires, c'est celle de décider d'assumer leurs responsabilités et de ne pas laisser uniquement aux dirigeants, aux technocrates et aux hauts fonctionnaires la définition de l'avenir. Les changements doivent passer par les élus du peuple à qui il revient de les autoriser et de légiférer en la matière. Si l'on croit vraiment à la démocratie parlementaire, c'est une des questions les plus fondamentales, un passage obligé du développement multidimensionnel des sociétés et des populations dans les prochaines décennies. Les parlementaires doivent être engagés le plus possible dans les changements fondamentaux. On ne peut pas accepter qu'ils ne soient que des machines à sanctionner les choix.

On a parlé plus tôt d'accords économiques régionaux. On pense à l'ALÉNA, au MERCOSUR, à la Communauté andine. Il existe plusieurs ententes économiques régionales dans les Amériques. Les accords qu'on veut établir pour 2005 risquent-ils de rendre caducs ces pactes économiques ?

A priori, non. Je crois que cela va dépendre de l'évolution des choses. L'Europe, par exemple, a l'Union européenne qui confère au Parlement européen un certain nombre de responsabilités. Cela n'empêche pas le Conseil de l'Europe d'exister et l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe d'avoir aussi des responsabilités importantes. Je pense que les solidarités n'ont pas à s'exclure mutuellement. Le territoire est tellement vaste, les enjeux sont tellement énormes – les Amériques comptent 775 millions de personnes, et l'on prévoit qu'elles en compteront un jour un milliard – il faut donc organiser les rapports, les politiques économiques, etc. Il n'y a rien d'immuable, de toute façon, dans l'histoire. Les sociétés sont constituées d'êtres humains, pas de robots. On peut donc penser qu'il y aura, dans un processus évolutif, des mouvements de repli, de prudence, de crainte qui vont succéder à des mouvements d'expansion, de développement ou qui vont les précéder. Il faut mettre les choses en place en étant conscient de cela et en tirant profit des synergies ainsi que des alliances déjà amorcées.

Parler de développement et de prospérité, c'est parler aussi de disparités entre les pays qui composent les Amériques et les Antilles. Certains parlent de protection de l'environnement et de société du savoir, d'autres n'en sont pas rendus là. Quelles conditions devront être réunies pour que la Conférence parlementaire des Amériques réussisse à rapprocher ces différences ?

Je pense que l'ouverture d'esprit est la première condition. Si l'on arrive avec la volonté d'engager tout le monde dans un processus de changement à un rythme d'abord dicté et organisé en fonction de ceux qui ont le plus de moyens, on risque de créer beaucoup de problèmes. Nous allons tous partir sur la même ligne de départ. Certains ont eu un entraînement long et plus rigoureux qui les a mieux préparés à affronter le chemin ; d'autres, pour toutes sortes de raisons, sont moins bien préparés. Ils sont dans une position plus précaire pour entreprendre la randonnée. Dans ce processus, si nous voulons avancer ensemble et faire en sorte que la randonnée profite à tous, il va falloir que nous acceptions nos différences. Nous devrons donner priorité à certaines choses. Il ne sert à rien de mettre en place des mécanismes qui amèneront une bonne partie des gens à constater dans vingt-cinq ans que ces mécanismes ont joué contre eux et les ont pénalisés. Il faut donc – et c'est une condition de succès – qu'il y ait cette volonté de prendre en considération les diverses situations et les intérêts divergents. Il faut qu'il y ait cette ouverture d'esprit pour trouver le bon rythme, les niveaux acceptables de modification et, en même temps, que le courage soit aussi au rendez-vous. Les enjeux sont importants : un développement efficace et acceptable au plan écologique, un niveau de développement plus grand que le niveau actuel, donc plus généralisé, où il y aura moins de pauvreté et plus d'équité. Tous devront être à l'écoute des uns et des autres et bien jauger ce que chacun est prêt à vivre et à assumer. Dans certains cas, nous devrons soutenir ceux qui sont plus fragiles pendant un certain temps pour qu'ils atteignent le niveau des autres. En contrepartie, il va falloir que ceux qui exigent du temps et de la souplesse soient prêts aussi à changer d'attitude par rapport à certaines questions. Chacun devra mettre de l'eau dans son vin !

Parler de grands ensembles comme celui que l'on vise pour 2005, c'est soulever la question des identités nationales, des cultures et des langues, des coutumes et des traditions des minorités. Comment pourra-t-on s'assurer qu'elles seront protégées et qu'elles continueront ainsi à enrichir le patrimoine culturel mondial ?

C'était en effet une de nos préoccupations, c'est pourquoi nous avons choisi d'en faire un des thèmes majeurs. La question culturelle et identitaire est fondamentale parce que – et j'insiste – c'est le développement de l'ensemble des êtres humains et des collectivités que nous visons. Nous ne partons pas, loin de là, du principe que la diversité culturelle est une entrave au développement, que c'est l'antithèse du progrès, que l'humanité est rendue à un stade où l'on devrait exiger l'homogénéisation culturelle et linguistique. Tout au contraire, on valorise la diversité, on pense à protéger les cultures multiples. Maintenant, on est plus conscient de la valeur de chacune des cultures. J'adhère à ce point de vue et je pense que les démocrates en général souscrivent au principe de la diversité. Y adhérer, c'est faire en sorte que les identités soient protégées. Nous sommes 1 % de francophones dans les Amériques, ce n'est pas beaucoup. En invitant les parlementaires des Amériques au Québec où ils se retrouvent concentrés en très grande majorité, nous envoyons aussi un message à nos collègues d'un peu partout : nous leur disons que la protection culturelle n'existe pas que pour les autres, qu'elle nous concerne aussi. Nous avons nos propres enjeux, nous ne visons pas l'homogénéité culturelle et ethnique, et, même si nous voulons que l'ensemble de notre société fonctionne avec une langue commune, nous voulons en même temps faire en sorte que les premières nations maintiennent leur identité culturelle et linguistique et puissent aussi la développer et s'épanouir dans celle-ci. C'est pour cela que nous avons choisi de débattre ces questions. Il faut qu'il y ait une prise de conscience parce que souvent les gens ignorent les réalités des autres. Les forums internationaux ont entre autres avantages celui de permettre à l'information de circuler, de permettre à tous de prendre conscience que la diversité existe, d'en mesurer les conséquences, de voir comment elle doit se vivre et ce qu'il faut faire pour la préserver. Qu'est-ce que cela voudra dire aussi sur le plan institutionnel et même politique ? Tous les pays des Amériques sont des terres d'immigration. Les Amériques ont été grandement influencées par l'immigration européenne et ensuite d'un peu partout ; alors, nous avons tous le même type de défi à relever : comment protéger les droits des nations autochtones et leurs membres tout en protégeant les nouvelles grandes identités culturelles qui se sont développées ; comment faire cohabiter les quatre langues officielles ; comment faire en sorte aussi que ceux qui, culturellement, ont la force du nombre et du pouvoir économique n'obligent pas les autres à s'engager dans un processus où, en bout de ligne, ils vont s'assimiler et même voir leur culture disparaître. Je pense que nous avons un beau défi aussi parce que nous vivons à côté de la plus grande puissance de la planète, cette puissance dont la culture est devenue en quelque sorte une civilisation. Si nous réussissons à trouver une façon harmonieuse de gérer cette réalité et ce déséquilibre culturel dans les Amériques, peut-être deviendrons-nous un modèle de pacification pour le reste de l'humanité pour les siècles à venir.

Je voudrais vous poser une dernière question sur votre contribution à la Conférence parlementaire des Amériques. En tant que président de l'Assemblée nationale du Québec, que voulez-vous y apporter ?

Si nous avons choisi de tenir cette Conférence, c'est parce que nous croyons que les Québécois ont un certain nombre de valeurs à protéger et à promouvoir. L'Assemblée nationale du Québec, avec ses collaborateurs et tous ceux qui participent à ce projet, servira de catalyseur dans la mesure où l'on croit que le dialogue, la concertation sont essentiels pour le développement actuel et futur. Et, dans le fond, je souhaiterais que les gens quittent Québec avec la conviction que la Conférence aura des suites. La Conférence parlementaire des Amériques doit devenir un mécanisme permanent de dialogue et de coopération. Je ne pense pas qu'on puisse parler à ce moment-ci d'une assemblée interparlementaire des Amériques, mais, au moins, on pourrait la considérer comme une association de parlementaires des Amériques. Peut-être pourra-t-on, dès maintenant, décider qu'on veut créer assez rapidement une association qui pourrait déboucher un jour sur un forum interparlementaire des Amériques, forum qui pourrait servir de mécanisme permanent pour maintenir ce dialogue. La vision de Simón Bolívar doit, d'une certaine façon, nous inspirer. On verra jusqu'où les uns et les autres sont prêts à aller avec le temps, mais, quoi qu'il arrive, il est clair que notre avenir à tous passe par le raffermissement de nos liens, le développement de nouvelles solidarités et la compréhension mutuelle des points de vue et des intérêts en présence. Chose certaine, et comme cela se fait ailleurs, dans la Francophonie, au sein du Commonwealth et dans plusieurs régions du globe, il faut qu'un mécanisme permette aux élus du peuple de partager leurs expériences et leurs lectures des situations. Les relations entre les pays ne doivent pas passer seulement par les gouvernements mais aussi par les députés et les sénateurs. ll va falloir trouver un mécanisme permanent à l'intention et à l'avantage des parlementaires. Et, pour le Québec, je souhaite qu'on réussisse... Le président de l'Assemblée nationale, qui représente les députés indépendantistes et les députés fédéralistes, a réalisé une alliance avec les paliers de gouvernement au-delà de l'avenir constitutionnel du Québec. Il est clair que les intérêts économiques, sociaux et culturels des gens d'ici passent par un positionnement stratégique du Québec dans l'ensemble des Amériques, un positionnement stratégique de ses parlementaires et de ses entreprises. À cet égard, on a voulu qu'un certain nombre de grandes entreprises, qui sont des locomotives de développement au Québec, puissent donner le ton et lancer le message que l'avenir des Amériques les intéresse, qu'elles se sentent concernées et que l'initiative des parlementaires mérite d'être appuyée et valorisée parce qu'elle est dans l'intérêt de tous. Si je pouvais aider à mieux positionner le Québec sur le plan stratégique pour l'avenir, j'aurai été utile.