FORCES

Commerce international et environnement
Un équilibre difficile pourtant incontournable

Victor Lichtinger1
Directeur exécutif
Commission de coopération environnementale de l'ALÉNA

Le débat sur les rapports entre le commerce international et l'environnement se déroule depuis plusieurs années déjà sur différentes tribunes internationales. Le principal sujet de préoccupation est la nécessité de rendre compatibles la protection de l'environnement et le flux international de marchandises et d'investissements. Bien que l'objectif soit clair, la façon d'y arriver ne l'est pas tellement.

Une brève description des différents intérêts et préoccupations qui se manifestent montre clairement que la question est extrêmement complexe, que le débat à ce sujet se poursuivra et que les mesures adoptées seront décisives pour le succès ou l'échec de la promotion d'un commerce international plus libre, doté de mécanismes assurant à la fois la protection de l'environnement et l'instauration d'un développement durable. Les organismes internationaux et régionaux, comme la Commission de la coopération environnementale, créée par l'accord parallèle au Traité de libre-échange, jouent un rôle fondamental dans la recherche de cette solution.

Toute activité économique entraîne un impact sur l'environnement et les ressources naturelles : le milieu se transforme dès que se développent des activités telles que la construction de villes, l'utilisation de la terre pour la production agricole, l'aménagement du paysage naturel à des fins de loisir, le déversement dans l'eau de résidus rejetés par la vie urbaine ou la production industrielle. Quant au commerce international, il ouvre l'économie d'un pays à la concurrence étrangère et modifie, au moyen de prix relatifs, les conditions et les signaux du marché. En tant qu'instrument de développement de la croissance économique, de réaffectation des ressources et de réalisation d'économies d'échelle, le commerce international tend à modifier le comportement des agents économiques (investisseurs, entrepreneurs et consommateurs) en élargissant ou en réduisant les possibilités d'affaires et d'emploi dans les différents secteurs commerciaux et industriels. Ces modifications, du fait qu'elles se réalisent dans un milieu naturel donné, peuvent également avoir des effets sur l'environnement et les ressources naturelles.

Le rapport entre le commerce et l'environnement est devenu un sujet qui revient périodiquement, surtout depuis la Déclaration de Rio de Janeiro sur l'environnement et le développement en 1992 et les discussions entreprises au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), récemment créée, et d'autres organismes internationaux. Les politiques portant sur le commerce et l'environnement, totalement sans liens entre elles jusqu'à tout récemment, font maintenant l'objet de discussions qui tiennent compte des conséquences respectives sur les possibilités de succès d'un développement durable. Pour de bonnes raisons, la notion d'interdépendance entre le commerce et la protection de l'environnement s'est développée parallèlement aux efforts internationaux visant l'expansion du libre-échange, outil central permettant la croissance économique des nations, y compris celle des pays en voie de développement.

Préoccupations environnementales

L'expansion du libre-échange a suscité de profondes inquiétudes au sein des organisations environnementales non gouvernementales. Leur inquiétude découle de la perception, très justifiée, que, dans certains cas, les forces du marché et de la concurrence – promues directement par l'ouverture des économies au moyen du libre-échange – tendent à miner les lois nationales et les accords internationaux sur la protection de l'environnement, à assouplir les lois en vigueur et à encourager les investissements vers des zones ou des pays où, en apparence, les normes environnementales sont moins élevées.

D'autres inquiétudes existent également, suscitées par la perception que les agences commerciales n'auraient pas pris assez au sérieux la question de l'environnement et les impacts que le commerce pourrait avoir sur l'environnement, à la suite des conclusions des arbitrages et des décisions de divers groupes d'experts dans le cadre de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on Tariffs and Trade), le GATT, et de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) relativement aux litiges commerciaux liés à des politiques ou à des normes environnementales. Les organisations non gouvernementales ont demandé instamment à ces organismes internationaux d'adopter des changements afin, d'une part, d'améliorer et de rendre leurs pratiques plus transparentes, et, d'autre part, d'améliorer leur compréhension du rapport qui existe entre les questions commerciales et les questions environnementales.

Les environnementalistes ont également attiré l'attention sur la manière avec laquelle les nouvelles formes de consommation et la demande croissante en ressources naturelles des pays développés affecte l'intégrité de la diversité biologique, les écosystèmes et les ressources naturelles des pays en voie de développement, ce qui constitue un obstacle au développement durable mondial.

Secteurs divers, intérêts variés

Par ailleurs, plusieurs syndicats et groupes d'intérêts du domaine de la production qui font en général partie de l'industrie manufacturière traditionnelle (fabricants d'acier, de voitures, de textiles, etc.), de l'industrie minière et forestière et des associations d'agriculteurs, surtout des pays développés, ont également exprimé leur désaccord à l'égard du libre-échange. Ces secteurs perçoivent la concurrence extérieure comme une menace, soit en raison des pertes des subventions et du traitement préférentiel accordés par leurs gouvernements, soit parce qu'ils doivent maintenant concurrencer des industries plus compétitives et efficaces.

Dans les pays développés, ces groupes d'intérêts se sont unis, selon les circonstances, avec divers mouvements commerciaux qui poursuivent d'autres objectifs. Ces alliances manifestent clairement des objectifs protectionnistes et associent notamment, dans leurs activités, des préoccupations environnementales. L'influence croissante de ces alliances ainsi que l'existence ces dernières années d'activités commerciales unilatérales ayant des objectifs environnementaux douteux, ont suscité des inquiétudes, surtout dans les pays en voie de développement. Dans ces pays, tant des gouvernements que des secteurs influents de la société ont adopté des attitudes qui varient de la prudence à l'opposition à l'égard de l'inclusion des considérations environnementales dans les règles qui définissent les activités commerciales. Ils craignent, en effet, que les questions environnementales mettent en péril leurs intérêts commerciaux et donnent naissance à une nouvelle forme de protectionnisme.

Il convient cependant de signaler que dans les pays en voie de développement, cette situation a été utilisée par quelques secteurs pour justifier des attitudes irresponsables à l'égard de l'environnement et de la santé. Citons le cas des entreprises forestières, qui, pour réaliser des profits à court terme, transfèrent systématiquement leurs activités vers des pays dont les lois sur l'environnement sont les moins exigeantes ; elles sont libres ainsi d'exploiter les forêts sans devoir assurer un développement durable. Elles quittent le pays en laissant derrière elles le moins de richesses possibles et un environnement dévasté. Citons également des cas précis d'abus survenus dans le domaine du traitement et de l'évacuation de résidus dangereux, certaines entreprises, devant le coût très élevé de la mise au rebut dans leur propre pays en raison des règlements en vigueur, s'étant débarrassées de déchets industriels en les déversant dans des pays moins développés de manière fort économique et inadéquate.

Une brève analyse des préoccupations et des intérêts qui touchent le commerce et l'environnement prouve la complexité de cette question. Jusqu'à présent, aucun consensus n'a conduit à l'acceptation d'une méthodologie permettant d'établir clairement les limites qui existent entre, d'une part, la promotion légitime des bénéfices commerciaux en assurant la protection de l'environnement et, d'autre part, celle des activités ayant des intérêts protectionnistes. Il faut cependant comprendre certains critères élémentaires visant à faciliter l'établissement de rapports positifs entre le commerce et l'environnement, ainsi que des relations de bon voisinage et de liens entre les nations elles-mêmes, qui sont à la base des relations commerciales.

Démocratie et participation à la prise de décisions

La qualité de l'environnement affecte tous les citoyens d'une communauté ou d'une agglomération donnée. Aussi, l'efficacité de toute politique environnementale repose sur sa capacité de permettre, de manière efficace et démocratique, la participation éclairée de la société à la prise de décisions sur le niveau de protection environnementale désiré, indépendamment des objectifs socio-économiques. Les différentes entreprises, qui sont les principales intervenantes sur l'environnement, doivent aussi participer activement à la prise de décisions puisque ce sont elles qui, au bout du compte, réaliseront les opérations, les investissements et les programmes spécifiques afin de minimiser l'impact de leurs activités sur l'environnement.

Ce même concept devra servir d'orientation générale en matière de relations entre les pays. La participation du public et l'application des règles démocratiques à la prise de décisions relatives aux politiques environnementales nationales et locales font en sorte que des intérêts industriels particuliers ne sont pas privilégiés. Cette participation devra garantir l'établissement de lois, de règlements et de normes environnementales pour assurer une protection adéquate du milieu naturel et de la santé.

Différences entre les pays et respect de la souveraineté

Chaque pays présente des conditions différentes liées à son propre écosystème, à son climat et à ses particularités culturelles et socio-économiques. Ces caractéristiques sont cruciales dans l'établissement de politiques de développement et de protection de l'environnement. On ne peut prétendre que les normes environnementales puissent être égales pour tous étant donné que les caractéristiques des écosystèmes et les priorités socio-économiques sont différentes. Si l'on tient compte de telles différences, on mettra en œuvre des programmes, des règlements et des objectifs qui auront un caractère propre ; on ne pourra affirmer qu'ils puissent être copiés d'un endroit et appliqués à l'autre, comme l'ont prétendu dans le passé les institutions financières internationales. La compréhension et le respect de cette diversité et de sa richesse sont essentiels pour arriver à établir des rapports commerciaux bénéfiques et une coopération environnementale fructueuse.

Chaque pays doit être conscient de ses responsabilités et maintenir sa souveraineté pour établir ses propres lois, ses règlements et ses programmes de protection environnementale de façon à respecter et à faire respecter une telle législation sur son territoire. Ce principe devra cependant être basé sur un processus démocratique d'information, de participation et de décision, où les personnes concernées pourront exercer une influence assez déterminante sur les décisions qui porteront sur les politiques environnementales pouvant nuire à la qualité de vie, et posséder les moyens efficaces de porter plainte et d'exiger des autorités l'application fidèle des lois.

Dans le même esprit, la Déclaration de Rio de Janeiro sur l'environnement et le développement exprime le principe de souveraineté et oppose à ce dernier la responsabilité qu'a chaque pays de ne pas affecter l'environnement de pays tiers ou de zones hors de sa juridiction nationale2.

Respect des lois

S'il est important d'avoir des lois et des normes adéquates, il est aussi essentiel de les faire appliquer. Comme nous pourrons le voir, le respect des lois est crucial dans les rapports entre l'environnement et le commerce. L'intérêt qu'ont les citoyens de maintenir un niveau optimal de protection environnementale et de qualité de leur milieu, ainsi qu'à protéger la santé, devra être respecté strictement et conformément aux lois de chaque pays.

Importance de la connaissance scientifique

Le rôle des sciences est fondamental pour promouvoir la complémentarité des objectifs commerciaux et environnementaux, ainsi que pour fournir l'appui indispensable à la prise de meilleures décisions quant aux priorités et aux investissements qui doivent protéger l'environnement. De même, lorsque surgissent des différends entre les pays, le premier pas vers la résolution des problèmes doit toujours inclure une entente scientifique.

Mise en œuvre du principe de prévention

On sait bien maintenant qu'il est souvent plus coûteux de régler un problème environnemental que de le prévenir et que certains phénomènes environnementaux sont pratiquement irréversibles. La prévention est aussi fondamentale en matière de relations entre les pays et de litiges potentiels quant à l'environnement. Il est donc nécessaire de prendre les devants et de régler les problèmes avant qu'ils ne se transforment en crises incontrôlables qui pourraient nuire aux bonnes relations entre les nations.

Importance des accords bilatéraux et multilatéraux

Aucun pays, aussi grand et important soit-il, ne doit imposer unilatéralement aux autres nations ses priorités, ses normes ou ses règlements environnementaux en utilisant des barrières, des moyens commerciaux ou toute autre méthode. Lorsque les problèmes environnementaux sont frontaliers ou mondiaux, on doit déployer tous les efforts possibles pour parvenir à des accords bilatéraux ou multilatéraux pour les régler dans un esprit coopératif et de façon coordonnée. Les différentes conventions internationales, telles que les ententes relatives au changement climatique et à la diversité biologique, sont des exemples clairs d'accords pour régler les problèmes environnementaux et qui font appel à une coopération et à une coordination au niveau mondial ainsi qu'à des responsabilités partagées bien que différenciées. Quelques-unes de ces conventions incluent l'adoption de mécanismes commerciaux assurant l'accomplissement des accords déjà signés et l'application efficace des ententes, comme le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d'ozone.

L'histoire du règlement des problèmes à caractère bilatéral en matière de frontières est longue. D'importantes institutions destinées à traiter et à résoudre les questions de qualité de l'environnement et d'utilisation des ressources entre les frontières existent depuis le début du XXe siècle. Certaines d'entre elles, telles que le Comité mixte international entre le Canada et les États Unis, ont joué un rôle fondamental dans la protection de l'environnement des zones frontalières et obtenu des résultats très positifs dans divers domaines.

L'ALÉNA et l'environnement

Dans le monde, aucune institution ad hoc régionale liant le libre-échange et la promotion de la coopération en matière d'environnement n'a existé précédemment. L'Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement en est la seule exception au niveau mondial. C'est un modèle d'avant-garde en matière de relations et d'engagement entre les pays membres de l'Accord de libre-échange. C'est surtout un accord qui a suscité un profond intérêt en raison de son approche innovatrice en ce qui a trait à la promotion et à l'importance qu'il voue à la participation publique.

La Commission de la coopération environnementale, liée à l'Accord nord-américain de coopération, a, parmi ses principaux objectifs, celui de promouvoir la diffusion de l'information sur les problèmes communs au Mexique, aux États-Unis et au Canada. La commission encourage la conservation, la protection et l'amélioration de l'environnement en Amérique du Nord, notamment en ce qui touche les aspects liés aux problèmes frontaliers et environnementaux.

L'Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement reconnaît expressément la souveraineté de chacun des trois pays membres en matière d'établissement de lois et de règlements sur l'environnement et de mesures pour les faire respecter. Parallèlement, les trois pays s'engagent à mettre en œuvre des processus internes pour garantir la participation des citoyens.

La Commission de la coopération environnementale met en œuvre un important programme de coopération visant à résoudre les problèmes environnementaux communs, frontaliers ou régionaux des trois pays. Elle traite, par exemple, de questions concernant la protection des espèces migratoires et leur habitat, les accords pour limiter et faire cesser l'utilisation des substances chimiques et des pesticides qui persistent dans l'environnement.

Politique commerciale et environnement

Jusqu'à présent, la politique commerciale a été conçue sans que l'on tienne compte des impacts environnementaux. Quant à la politique environnementale, elle n'a pas souvent considéré les conséquences du commerce sur l'environnement.

En fait, il y a très peu de contact et de dialogue entre, d'une part, les décideurs et les experts en commerce et, d'autre part, les spécialistes en environnement. Les échanges entre ces deux secteurs sont encore limités, et rares sont les études détaillées et sérieuses sur les relations concrètes et objectives qui existent entre ces secteurs ainsi que sur les liens qui les unissent.

Pour que le commerce et l'environnement soient complémentaires, une politique adéquate sur l'environnement est nécessaire pour représenter les intérêts des citoyens. Cette politique doit inclure une législation efficace sur l'environnement et des mécanismes précis permettant le respect des accords. Il serait d'autre part essentiel – et cela dans la plupart des pays – que l'on prenne en considération, en élaborant la politique commerciale, les effets que peut avoir la croissance économique sur l'environnement et sur les ressources naturelles.

Le lien entre le commerce et l'environnement est une question qui imprégnera les relations entre les pays au cours du XXIe siècle. On est à établir des ponts vers une complémentarité positive, les bonnes expériences et les recherches fructueuses se multiplient de jour en jour. Il est non seulement important que le commerce et l'environnement ne se contredisent pas, mais il faut aussi qu'ils soient complémentaires dans la recherche d'un développement durable. S'il faut encourager le dialogue entre les décideurs en matière de politique commerciale et de politique environnementale, il est aussi important de comprendre que chacune de ces politiques comporte des objectifs différents et qu'en général il ne faudrait pas confondre instruments commerciaux et objectifs environnementaux. Il est possible que les accords multilatéraux sur l'environnement soient l'un des moyens de protéger celui-ci. Il ne faut cependant pas généraliser, car chaque entente contient ses propres caractéristiques, implique des situations et des engagements différents et répond à des objectifs environnementaux divers.


1. Les idées exprimées dans ce texte ne représentent pas nécessairement les positions des gouvernements du Canada, des États-Unis ou du Mexique.

2. « Conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit international, les États ont le droit souverain de profiter de leurs propres ressources selon leurs propres politiques sur l'environnement et le développement et la responsabilité de veiller à ce que les activités réalisées au sein de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dégâts à l'environnement des autres États ou des zones hors des limites de la juridiction nationale. »