FORCES

La démocratie et les droits
Un processus complexe, mouvant, jamais complètement achevé

Nancy Thede
Coordonnatrice
Développement démocratique
Centre international des droits de la personne et du développement démocratique

Un survol rapide du continent permet de constater que les conditions relatives à la démocratie et aux droits de la personne, notamment aux droits civils et politiques, se sont nettement améliorées au cours des trente dernières années. Les gouvernements élus sont désormais la norme dans l'ensemble des Amériques. La démocratie n'est cependant pas encore arrivée à son terme, comme en témoignent les soubresauts observés dans nombre de pays ces dernières années. Même le processus électoral ne garantit pas le plein exercice des droits démocratiques. Face au nouveau courant d'intégration économique, les régimes démocratiques et les droits de la personne se trouvent confrontés à des défis inattendus qui exigent la mise en œuvre de nouvelles formes de participation démocratique tant à l'échelle continentale que nationale.

« Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, les Amériques forment une communauté de sociétés démocratiques. » Cette affirmation, tirée de la Déclaration de principe du Sommet des Amériques tenu à Miami en décembre 1994, donne une image frappante des changements survenus sur le continent depuis trente ans. Autrefois hanté par la guérilla et les dictatures anticommunistes, dont un grand nombre devaient leur pouvoir à l'appui actif des États-Unis, le continent américain est aujourd'hui pleinement voué à l'idéal démocratique. Même les gouvernements qui, dans la pratique, ne se conforment pas tout à fait au modèle démocratique tentent d'asseoir leur légitimité sur une intention avouée d'esprit démocratique ou un semblant d'institutions démocratiques. La démocratie a donc conquis une hégémonie incontestée au plan idéologique.

Cette vague s'est répandue avec régularité, pour acquérir une force irrésistible au fil des années. Après le remplacement du régime militaire de l'Équateur par un gouvernement civil en 1979, l'élan s'est poursuivi tout au long des années 80 : le Pérou (1980), l'Argentine (1983), l'Uruguay et El Salvador (1984), la Bolivie et le Honduras (1985), le Guatemala (1986), le Brésil (1989), le Chili, Haïti et le Nicaragua (1990) et enfin le Paraguay en 1993. Ces changements de régimes n'ont pas été sans heurts (comme en témoignent les soubresauts du Guatemala, d'Haïti et du Pérou, entre autres), mais la tendance est claire.

Les Amériques se sont non seulement dotées de régimes élus démocratiquement, mais ont aussi amélioré leur comportement en matière de droits de la personne. En dépit de la persistance de sérieuses violations des droits de la personne reconnus par la communauté internationale, il est indéniable que les pays du continent américain ont parcouru un long chemin depuis les sombres années 70 et 80, époque durant laquelle les massacres de civils, les disparitions inexpliquées, les exécutions extrajudiciaires et la torture étaient le sort communément réservé aux dissidents – ou même aux dissidents présumés – par les juntes militaires au pouvoir.

La tendance à la démocratisation des régimes d'Amérique latine au cours des années 80 a été favorisée par l'évolution de l'environnement politique international et accélérée par la fin imminente de la guerre froide. Les pays d'Amérique latine ont eux-mêmes activement collaboré au rassemblement des parties adverses autour de la table de négociations dans l'espoir de trouver une solution démocratique aux conflits armés qui sévissaient depuis longtemps, notamment en Amérique centrale. Parallèlement à l'instauration de gouvernements élus, les pays d'Amérique latine semblent avoir renforcé leur capacité de résistance à l'imposition unilatérale de la politique américaine, comme en témoignent l'Accord de Contadora dans les années 80 ou aujourd'hui l'opposition des pays membres de MERCOSUR à l'extension de l'ALÉNA à l'ensemble des Amériques.

L'attitude des États-Unis à l'égard de l'Amérique latine a également considérablement évolué. En premier lieu, il semble que Washington ait abandonné la doctrine Monroe (on se souvient de « l'Amérique aux Américains ») pour favoriser la présence accrue d'intervenants non américains, notamment les pays membres de l'Union européenne, au plan multilatéral. En second lieu, la politique américaine est désormais essentiellement axée sur le commerce et l'investissement plutôt que sur des critères politiques. À ce chapitre, ils sont donc sur la même longueur d'onde que les autres régimes d'Amérique, bien que leurs intérêts particuliers ne convergent pas nécessairement.

Ces nouveaux intérêts politiques communs ont été projetés sur la scène internationale en grande pompe et dans une euphorie non dissimulée lors du Sommet de Miami en décembre 1994, où les 34 chefs d'État des Amériques élus démocratiquement (on aura deviné l'absence de Cuba) ont été invités par le président Bill Clinton à former un « partenariat pour le développement et la prospérité ». Dans la déclaration de principe, les gouvernements des Amériques ont réitéré leur « ferme adhésion aux principes du droit international ». Quant à leur plan d'action, il stipule que « le renforcement, l'exercice effectif et la consolidation de la démocratie constituent au plan politique la première des priorités des Amériques ». Cet engagement collectif envers la démocratie, les droits de la personne et le libre-échange a fait germer l'idée d'un nouveau partenariat se formant à l'échelle du continent.

La démocratie demeure problématique.

Malgré ces percées apparentes, la nature et l'état de la démocratie sur le continent américain demeurent problématiques. Nombreux sont ceux qui affirment sans hésiter, notamment dans les rangs des gouvernements, que le défi n'est plus la mise en place, mais bien la consolidation du régime démocratique. Pourtant, il y a des raisons de croire que de graves retours en arrière se sont produits depuis le début des années 90. Prenons par exemple le rapport annuel de Freedom House, intitulé Freedom in the World, pour les années 1995-1996, et comparons-le à celui de 1991-1992. L'appréciation de cet organisme se fonde sur l'évaluation du respect des droits politiques et des libertés civiles. Pas moins de la moitié des 35 pays du continent ont obtenu, en 1995-1996, des notes inférieures à celles d'il y a quelques années. La majorité des autres ont affiché des résultats stables, alors que seulement 20 % ont enregistré une amélioration.

La méthode qu'utilise Freedom House en est une parmi tant d'autres ; aussi peut-on lui reprocher, avec raison, le nombre insuffisant de critères pris en considération. Ses conclusions sont néanmoins corroborées par d'autres observations, comme le phénomène de la corruption et les liens avec les trafiquants de drogue observés dans les plus hauts rangs des gouvernements, la hausse de la criminalité ou encore les inégalités socio-économiques croissantes dans presque tous les pays des Amériques. Le Mexique en offre un excellent exemple. Alors que le pays semble se diriger vers le libéralisme économique et un processus électoral pluraliste, la répression, la corruption évidente dans les plus hautes sphères et la limitation de la liberté d'association et de réunion se sont aggravées au cours des trois dernières années.

On ne saurait par ailleurs ignorer le fait que l'Amérique latine se démarque par la répartition des richesses la plus inéquitable au monde, avec des disparités qui, loin de s'estomper, s'accentuent de plus en plus. L'OÉA (Organisation des États américains) peut se targuer, à juste titre, de son « engagement de Santiago » et de sa Résolution 1080 en faveur de la démocratie représentative, qui obligent l'organisme à venir en aide au gouvernement élu d'un État membre renversé par des procédés non démocratiques. Depuis sa promulgation en 1991, on a utilisé cette prérogative à quatre reprises, soit en Haïti, au Pérou, au Guatemala et au Paraguay. Les États signataires sont cependant moins fermes concernant les questions touchant la consolidation de la démocratie qu'en regard de l'instauration d'un régime démocratique. Après l'élection « libre et loyale » d'un gouvernement, les autres États se sentent impuissants à intervenir. Le critère d'élections « libres et loyales » est lui-même appliqué de façon peu rigoureuse et, selon nombre d'observateurs, l'impartialité des élections tenues dans la majorité des nouveaux pays démocratiques laisse fortement à désirer.

En outre, lorsqu'un pays a franchi le « seuil des élections », il se trouve confronté à une nouvelle série de problèmes tout aussi, sinon plus, déterminants pour l'avenir de la démocratie que le changement de régime en soi. Cette deuxième phase est souvent désignée par l'expression « consolidation de la démocratie ». Cette étape met en jeu des processus extrêmement complexes, comme la séparation effective des pouvoirs et leur exercice réel. L'un de ces défis, et non le moindre, est l'amélioration – voire la mise en place – d'un système équitable d'administration de la justice et d'organes législatifs responsables. Cela peut paraître évident, mais constitue pourtant l'essentiel des efforts menés par la plupart des pays de notre continent pour l'avènement réel de la démocratie.

L'idée largement acceptée selon laquelle les nouvelles démocraties passent de la phase d'instauration à celle de la consolidation soulève cependant une autre question fondamentale. Est-il juste de considérer ce processus comme une progression linéaire ? N'assistons-nous pas plutôt à l'émergence d'un modèle de gouvernement complètement différent, modèle que certains ont appelé « démocratie restreinte » ou encore « démocratie de faible intensité » ? Les tenants de cette analyse expliquent que nombre de régimes américains possèdent les structures formelles d'une démocratie (élections relativement libres et loyales, pouvoirs législatifs relativement fonctionnels et administrations gouvernementales), mais très peu de structures et de processus qualitatifs qui donnent un véritable droit de parole aux citoyens en matière d'administration des affaires publiques. Dans ce cas, des groupes considérables de la population peuvent être exclus de toute participation effective ou se voir nier l'égalité devant la loi à cause de leur pauvreté ou de leur analphabétisme, des milieux privilégiés comme les classes militaire ou oligarchique peuvent exercer un pouvoir excessif dans l'élaboration des politiques, ou il peut s'avérer impossible d'organiser une véritable opposition politique. En fait, un nombre important d'États latino-américains manifestent au moins quelques-unes de ces caractéristiques et montrent peu de signes d'évolution vers une forme de démocratie plus complète.

Les nouveaux horizons continentaux

Au-delà des différentes interprétations, il est clair qu'à l'aube de ce XXIe siècle, les questions reliées aux droits de la personne sont au cœur de la problématique de la démocratie dans les Amériques. Malgré la tendance indéniable à la diminution du nombre de violations des droits, d'importantes questions touchant la qualité du régime démocratique apparaissent à l'échelle du continent. Certains parlent, à cet égard, de problèmes de deuxième génération. Tous les pays d'Amérique déplorent une participation électorale de plus en plus faible, l'insécurité grandissante des citoyens face à la hausse du taux de criminalité, l'impunité, la corruption, des systèmes judiciaires défaillants, le déséquilibre croissant de la répartition des richesses et la déresponsabilisation des pouvoirs publics à l'égard des programmes sociaux. Bien que propres à chaque État, ces problèmes touchent aussi l'ensemble des Amériques. De plus, ils mettent tous en évidence le rôle central des droits de la personne dans la mise en place et le maintien de régimes démocratiques sains. Les éléments essentiels au fonctionnement de la démocratie sont l'exercice effectif du droit de vote, l'égalité devant la loi, l'administration efficace de la justice et l'accès aux services sociaux de base qui assurent aux citoyens la capacité d'exercer leurs droits.

Il est non seulement trop tôt pour affirmer que la démocratie a triomphé sur le continent, mais nous sommes également confrontés au nouveau défi d'un ordre continental. Comment en effet transposer les institutions démocratiques et la participation des citoyens à l'échelle supranationale ? Il semble qu'un écart est en train de se creuser entre le processus économique mis en branle par les gouvernements dans le cadre de leurs négociations multilatérales et l'attitude de ces mêmes pouvoirs publics à l'égard de leurs électorats respectifs. Le cas le plus frappant est sans aucun doute celui de l'APEC (l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique), où les chefs d'État négocient de nouvelles ententes commerciales et administratives, s'attribuant le titre de « chefs d'économies » et éliminent, d'une simple signature, le principe démocratique fondamental qui sous-tend la légitimité de leur présence à la table de négociations, à savoir le fait que les gouvernements représentent des citoyens – soit une politie et non une économie.

De toute évidence, la situation des Amériques n'est pas aussi grave. Mais l'APEC illustre certainement le danger qui guette les institutions et les processus démocratiques enracinés dans les États-nations en ce qui a trait à l'émergence d'une sphère de relations économiques supranationales très intenses, s'accompagnant d'institutions politiques virtuellement inexistantes et de l'absence de tribunes où les citoyens ou leurs représentants élus peuvent examiner les décisions concernant leur avenir et en débattre publiquement. Certains considèrent l'OÉA comme la pierre angulaire de la création de ces institutions politiques d'envergure continentale accompagnant et administrant les vastes processus économiques. Les États membres ne voient pas tous du même œil le rôle proactif que l'OÉA devrait jouer à l'avenir, ce qui attise les débats. L'élaboration d'une nouvelle politie continentale devrait s'appuyer sur plusieurs aspects fondamentaux.

Quatre critères pour favoriser les droits de la personne et la démocratie dans les Amériques

Une définition renouvelée du statut de citoyen

Il est communément accepté que le respect des droits de la personne est révélateur de la qualité de la démocratie qui existe au sein d'un pays. Le plan d'action du Sommet des Amériques résumait très bien cette idée dans l'affirmation qu'« une démocratie est jugée d'après les droits dont jouissent ses membres les moins influents ». Le rôle fondamental des droits de la personne dans un régime démocratique dépasse cependant cette assertion morale, pour atteindre l'essence même des processus démocratiques. Les droits de la personne ne sont pas seulement un indice de mesure de la démocratie ; ils en sont le fondement. Les luttes pour l'obtention de certains droits, les mouvements de citoyens qui, dans le passé, ont conduit à la reconnaissance et à la codification des droits sont la substance même des institutions et des processus démocratiques que les sociétés ont mis en place au fil du temps. Les divers droits acquis sont la synthèse manifeste des luttes menées à certains moments de l'histoire par des secteurs de la population auparavant exclus de la définition de « citoyen », qui ont réussi à franchir cet obstacle politique et à convaincre le reste de la société du bien-fondé de leur participation à la scène politique.

Cette admission atteste de la reconnaissance, par les autres participants, de la légitimité des préoccupations propres à ces segments de la population. À l'origine, les citoyens – les sujets de la démocratie – formaient une élite (dans l'Athènes ancienne par exemple) qui s'est agrandie au cours de l'histoire pour intégrer des segments de plus en plus vastes de la population. Ainsi, ni la démocratie, ni les droits de la personne ne sont des systèmes immuables. Au contraire, ils sont en constante évolution, même aujourd'hui. Qui plus est, la démocratie évolue, dans une large mesure, en fonction des défis que lui posent ceux qui veulent y participer et qui réclament le droit de voir leurs préoccupations reconnues sur la scène politique. Les revendications des mouvements féministes ou des peuples autochtones en sont des exemples contemporains ; la transformation de nos propres institutions et processus démocratiques répond à l'émergence et à la reconnaissance de ces nouveaux intervenants.

Quel que soit leur degré de stabilité, les démocraties des Amériques doivent aujourd'hui faire face à un nouveau défi. Il s'agit de donner naissance à une nouvelle définition du statut de citoyen, qui ne soit plus nationale mais continentale. À l'instar des démocraties nationales, les principaux moteurs de la constitution des institutions démocratiques et de leurs acteurs, les citoyens, seront les mouvements faisant valoir leur droit de participer au processus. Ces mouvements émergent peu à peu, dans le cadre par exemple des négociations relatives à l'intégration économique, émanant de leurs sociétés civiles nationales respectives. Les acteurs-clés en sont les mouvements syndicaux, les environnementalistes, les groupes féministes, les organismes de jeunesse et les mouvements antipauvreté, qui coordonnent leurs stratégies à l'échelle du continent.

Le lien entre les droits de la personne et l'économie

La définition des éléments du problème est en soi problématique. Les négociateurs économiques, dans les rangs des gouvernements comme dans ceux du monde des affaires, y compris dans une certaine mesure les mouvements syndicalistes, considèrent que les négociations actuellement en cours à l'échelle du continent intéressent seulement les intervenants économiques et que les environnementalistes, les peuples autochtones, les mouvements féministes, les organismes de défense des droits de la personne, les étudiants et autres groupes de la population n'y ont pas leur place.

Qu'il me soit permis d'exprimer mon désaccord : l'ensemble des droits de la personne reconnus à l'échelle internationale (politiques, civils, économiques, sociaux, culturels, environnementaux) est touché par les nouvelles règles fondamentales régissant le commerce, la production et l'investissement sur le continent. Lorsque nos gouvernements allègent les programmes sociaux ou éliminent la protection des industries culturelles au nom du « libre-échange », les droits des citoyens sont directement concernés. Lorsque des entreprises s'établissent dans un pays où les normes antipollution sont moins sévères, les répercussions sur l'environnement ne s'arrêtent pas aux frontières du pays en question. Lorsque des politiques sont adoptées au nom des citoyens sans permettre à ceux-ci de donner leur avis, nos droits politiques et démocratiques sont bafoués. La liste des exemples est pour ainsi dire interminable. Mais le fond du problème réside dans le fait que les négociations ne portent pas tellement sur un nouvel accord commercial, ou sur une nouvelle entente économique, mais plutôt sur des règles fondamentalement différentes pour la société – ce qui touche en tous points la démocratie et les droits de la personne.

La société civile : l'approche globale au niveau local

La société civile est constituée de toutes les organisations et institutions non publiques, non économiques et non familiales. La densité, le dynamisme et l'autonomie de la société civile comptent parmi les éléments-clés d'un système démocratique. En effet, une démocratie ne peut pas exister sans une société civile viable. Comme nous le mentionnons plus haut, une société civile d'envergure continentale est en train de se former. Cependant, pour jouer pleinement son rôle dans la vie démocratique du continent, cette société civile doit pouvoir participer aux débats et décisions concernant les politiques établies par les gouvernements.

Jusqu'à présent, un seul secteur de la société civile est reconnu sur le plan des négociations qui ont cours à l'échelle du continent américain, à savoir celui des affaires. De toute évidence, il lui serait difficile de représenter les intérêts de l'ensemble de la société civile. Et les gouvernements ne sauraient se contenter de consulter les représentants de leurs sociétés civiles respectives. Les problèmes sont d'ordre continental, tout comme les débats et les intervenants. Il incombe donc aux gouvernements démocratiques de s'assurer que ces derniers sont représentés directement.

La vaste portée de la démocratie

De quelle démocratie parlons- nous ? Les termes apparaissant souvent dans les politiques des gouvernements et des institutions financières internationales – qui après tout sont les principaux intervenants dans le cadre des programmes de démocratisation du continent – sont transparence, bonne gestion des affaires publiques, prévisibilité et légalité. En outre, la corruption est un problème majeur souvent évoqué. L'appui financier sert essentiellement à améliorer l'administration du système judiciaire et l'efficacité de la fonction publique (pour la perception des recettes, par exemple), à moderniser le cadre législatif, à élaborer les systèmes électoraux et à améliorer et démilitariser les services de police.

Bien sûr, ce sont tous des aspects nécessaires à un système démocratique capable d'assurer le respect des droits de la personne. Il n'est cependant pas approprié de les considérer comme les principaux composants d'un tel régime. Ils expriment surtout le souci de créer les conditions favorables au maintien d'un environnement stable et plus sûr pour les investissements, non d'un environnement démocratique. On a fortement tendance à associer, de façon plus ou moins implicite, « marché libre » (si un tel concept existe vraiment) à « démocratie ».

Si l'on veut réussir la mise en place d'un régime démocratique, que ce soit dans chaque pays séparément ou dans le cadre d'un nouvel ordre continental, il faut bannir ce genre de simplifications dangereuses. Le processus de démocratisation sur le continent américain est, au contraire, extrêmement complexe et tend à louvoyer autour de nombreux obstacles. L'élément déterminant de l'instauration de la démocratie n'est pas le marché en soi, mais plutôt les relations sociales complexes qui caractérisent ce marché. Voilà l'un des facteurs essentiels de ce défi d'envergure : un marché qui exclurait les droits de la personne serait comme... une démocratie sans société civile.